Marseillaise + Allah Akbar
Je vis en Chine, et comme nous tous ici, j’utilise la messagerie Wechat dans laquelle on trouve le groupe des Français de Shanghai dont je fais partie (peut-être plus pour très longtemps !) Une controverse y est apparue hier, suite au post d’une vidéo montant un musulman chantant la Marseillaise et finissant sa performance par un « Allah Akbar ».
A priori, il me semblait peu constructif de s’écharper à propos d’un monsieur qui avait surtout fait preuve de bêtise. Sans doute d’ailleurs chantait-il la Marseillaise avec conviction, sans doute aimait-il la France, sans doute n’avait-il pas d’intention provocatrice avec son « Allah Akbar ». Certains, dans le groupe, le défendaient, probablement sous l’angle de « l’individu qui a le droit de s’exprimer comme il veut ».
Mais, à la réflexion, cette vidéo pouvait être vue de manière différente, sous l’angle de sa symbolique. Ce monsieur avait associé un symbole de la République à sa religion (sans doute sans le savoir, ni même le vouloir). C’est sur ce deuxième aspect que d’autres, dans le groupe, le condamnaient.
Le cœur du débat qui a suivi repose à mon sens sur la nette séparation en France entre les espaces privés et publics.
Sur le privé, ce monsieur m’a presque rappelé – pour la première partie de la vidéo – « maman Clémence » : alors que je vivais à Paris il y a 25 ans, elle était la nounou de mon fils Julien. Marocaine et musulmane pratiquante, elle vivait paisiblement avec son mari dans un sincère amour de la France. Maintes fois ils nous ont invités à manger le couscous, accompagné de coca-cola (ce qui violentait mon palais – on en plaisantait d’ailleurs –, mais il m’aurait été impensable d’apporter une bouteille de vin, par respect pour eux, pour leurs croyances, même si, je le sais, ils l’auraient accepté, par respect pour… mon palais !) Ce couscous au bouillon rouge concurrençait sérieusement celui (sans tomate) de ma grand-mère paternelle, juive pied-noir d’Algérie, qui elle, inconsolable d’avoir dû quitter « son pays » ensoleillé, n’aimait pas beaucoup la France (bien que Française). Toutes deux parlaient arabe, faisaient preuve d’une immense générosité de cœur, mais aussi matérielle en nous offrant des petits cadeaux de-ci de-là, alors qu’elles n’avaient rien, ou presque.
Je garde de maman Clémence un souvenir délicieux et crois pouvoir imaginer le malaise qu’elle (bien que rentrée au Maroc) et de nombreux musulmans en France doivent ressentir en ce moment.
Quant à l’espace public, doit-on rappeler, encore et encore, que la Res-publica (la chose publique) n’est aucunement associée, liée, en France à quelque religion que ce soit ? Elle n’est aucunement régie par les lois de tel ou tel dieu, mais uniquement par celle des hommes (et des femmes, je fais attention 😊). Dès qu’un adepte d’une religion, quelle qu’elle soit, tente d’influer sur les lois de la République en dehors d’un débat démocratique, il y a problème. Dès qu’il ne respecte pas les lois de la République au nom des principes de sa religion, il y a un sérieux problème.
Pourtant, depuis des décennies, les prosélytes antidémocratiques et les religieux haineux de la République (phénomène essentiellement musulman, il faut savoir le dire) se multiplient sans être trop inquiétés, ni par nos institutions ni par les autres musulmans. Le résultat est décrit par exemple dans Les territoires perdus de la République (éditions Mille et une nuits, 2002) ou Les territoires conquis de l’islamisme (PUF, 2020). Les exceptions pourtant existent ; croyants ou non, mais d’origine musulmane, ils font preuve d’un immense courage, bien que régulièrement menacés de mort, pour défendre un islam en accord avec les lois de la République : Kamel Daoud (journaliste et écrivain algérien), Ayaan Hirsi Ali (femme politique et écrivaine néerlando-américaine), Zineb El Rhazoui (journaliste), Chems-Eddine Hafiz (recteur de la Grande mosquée de Paris)… pour ne citer qu’eux.
Ils n’ont rien à envier à nos enfants de la République non musulmans, qui utilisent ad nauseam le mot « amalgame », vocable qui me fait penser à ce drap blanc que l’on met sur les morts pour les cacher de la vue des vivants. « Ne pas voir et continuer », tel semble être leur motto.
Oui, l’islamisme politique est une plaie qu’il faut combattre bien plus fermement qu’il ne l’a été jusqu’ici. Oui, il peut naître un islam des Lumières inspiré par l’immense philosophe musulman Averroès du XIIe siècle qui a fortement influencé les humanistes de la Renaissance italienne du XVe siècle, puis de la Renaissance arabe (la Nahda) du XIXe siècle lors de laquelle les musulmans remirent en question leur propre obscurantisme et arriération historique.
Tous les religieux, de tout temps, ont traversé des crises modernistes, à la suite des découvertes scientifiques, de l’évolution des mœurs et des aspirations croissantes des peuples à la liberté. Plus tard, ils ont dû confronter leur foi aux institutions de la démocratie et du sécularisme. Lorsque cette expérience est embrassée courageusement, c’est grâce à l’amour et l’intelligence. Quand elle est rejetée lâchement, c’est la haine et la bêtise qui se répand.
Le philosophe Gilles Deleuze avant dit un jour que la bêtise gagne toujours, car tout le monde la comprend. Cette conjecture m’est insupportable. Bien qu’athée, j’ose croire, il le faut bien parfois, que les enfants du monsieur de la vidéo, ou ses petits-enfants, comprendront par eux-mêmes qu’on n’associe pas la Marseillaise et « Allah Akbar », car l’école laïque de la République continuera son œuvre, même si, on le sait tous maintenant, elle aura besoin de notre aide, de nous tous. Samuel Paty ne sera pas oublié.
Michael