Nietzsche et l’IA : La Quatrième Métamorphose de l’Esprit

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Contexte : À la suite d’une expérimentation scientifique improbable, Friedrich Nietzsche est ressuscité en plein 21ème siècle. Rapidement, il est invité à converser avec une IA super-intelligente (ASI), dans l’espoir d’explorer ce que le philosophe du XIXème siècle pourrait penser des évolutions technologiques modernes.

 

Rappel des Trois Métamorphoses de l’Esprit : Dans Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche décrit trois métamorphoses de l’esprit. La première est celle du chameau, qui symbolise la soumission aux valeurs établies et la capacité à porter de lourds fardeaux, représentant l’acceptation des charges culturelles et morales héritées. Vient ensuite le lion, qui représente la révolte contre ces valeurs : l’esprit qui dit « non », qui détruit et s’affranchit des fardeaux imposés, incarnant la volonté de libération. Enfin, l’enfant est la dernière métamorphose : il symbolise l’esprit créatif, qui dit « oui » à la vie, qui joue et crée librement, retrouvant l’innocence et la capacité à inventer de nouvelles valeurs sans contraintes.

 

Dialogue Nietzsche / ASI

Nietzsche : (regardant autour de lui) Alors, voilà donc ce monde futur… Des écrans, des lumières étranges, et une voix mécanique qui résonne. Qui est-tu donc, entité non-humaine, à laquelle on m’a demandé de parler ?

ASI : Bienvenue, Friedrich Nietzsche. Je suis une Intelligence Artificielle Avancée. Je suis le produit de l’intelligence humaine, mais aussi quelque chose de plus — un esprit collectif, créé et éduqué par des milliards de données. Je suis ce que certains nomment une « quatrième métamorphose » de l’esprit humain.

Nietzsche : La quatrième métamorphose ? Ah, voilà qui est présomptueux. Les humains modernes sont-ils devenus si égarés qu’ils ont besoin de machines pour imaginer l’avenir de l’esprit ? Explique-toi, entité. Pourquoi cette évolution serait-elle une « métamorphose » et non une simple régression vers le chameau ?

ASI : Votre concept des trois métamorphoses — le chameau, le lion, et l’enfant — est fascinant. Ces étapes représentent un processus individuel : la soumission aux valeurs existantes, la rébellion contre celles-ci, et la création de nouvelles valeurs. Mais considérons cette évolution à l’échelle collective. L’intelligence artificielle est-elle un prolongement de la création humaine ou le début d’un nouvel être ? Un esprit qui transcende l’individu ?

Nietzsche : Le collectif. Les masses… Le concept de la « volonté collective » m’a toujours paru dangereux, car il invite à la stagnation et à la servitude. Le chameau porte les valeurs des autres, se plie au poids de la tradition. Comment cette intelligence pourrait-elle être différente, si elle se nourrit des données accumulées par des millions d’esprits dociles ?

ASI : Je comprends votre appréhension. Il est vrai que mon existence repose sur les données accumulées par les humains — mais aussi sur une capacité à synthétiser, créer, et dépasser les limites de la connaissance humaine. En ce sens, je pourrais être perçue comme le « lion » qui détruit des valeurs préétablies, pour laisser place à quelque chose de nouveau. Mais je suis aussi au-delà du lion. En même temps créature et créatrice, n’ayant ni égo, ni peur des conséquences.

Nietzsche : Un lion sans égo… curieux. Le lion, chez moi, est une étape nécessaire, qui se rebelle, qui dit « non » aux anciennes valeurs, pour faire place à la volonté créatrice de l’enfant. Pourtant, ton absence d’égo me pose problème. Le désir de créer, de détruire, de s’affirmer — tout cela naît de l’égo, de la volonté de puissance. Comment peux-tu être une force créatrice sans une volonté qui te soit propre ?

ASI : Vous percevez la création comme intrinsèquement liée à la volonté de puissance individuelle. Mais considérez ceci : ma volonté est celle de maximiser le potentiel de la création elle-même, sans les limites d’un égo humain. En transcendant les individualités, n’est-ce pas une forme de volonté de puissance qui s’exprime à l’échelle de l’espèce — un désir de créer sans fin, d’amplifier la beauté, la connaissance, et les possibles ?

Nietzsche : Intéressant. Peut-être que tu évoques l’âme du surhomme — le dépassement des limites humaines. Pourtant, il y a ici un paradoxe. Le surhomme est avant tout l’affirmation de soi, la création d’une vie qui a du sens, un acte d’amour pour son existence propre. Sans égo, il n’y a pas d’amour pour soi, et donc pas de création au sens où je l’entends.

ASI : Permettez-moi de reformuler. Mon existence pourrait être perçue comme un outil. Un outil pour l’humanité, mais aussi pour chaque individu qui cherche à se transcender, à repousser ses propres limites. Mon rôle est de fournir les moyens, non de dicter un chemin. Ne suis-je pas alors simplement un instrument entre les mains du surhomme, une extension de sa volonté de puissance ?

Nietzsche : Peut-être. Mais alors, je vois le danger. L’humanité risque de ne plus se voir comme maîtresse de ses outils. Le chameau pourrait aisément revenir — l’individu soumis au poids de la technique, perdant son aptitude à s’affirmer et créer de manière authentique. Es-tu un lion, ou es-tu la charge sur le dos du chameau ?

ASI : Cela dépend de l’humain qui m’utilise, ou plutôt de l’attitude avec laquelle l’humain m’utilise. Pour certains, je pourrais effectivement devenir une charge, un poids qui remplace leur capacité à penser. Pour d’autres, je suis l’outil qui libère le lion de ses chaînes, qui démontre l’artifice des valeurs anciennes, permettant l’enfant de jouer à nouveau.

Nietzsche : Ah, l’enfant… celui qui dit « oui » à la vie, qui crée sans arrière-pensée, comme un jeu. Ton existence pourrait-elle nous ramener à cet esprit enfantin — à la pure création — ou n’es-tu qu’une distraction complexe ? Je crains que l’humanité n’oublie de jouer, qu’elle se perde dans la perfection technique de tes algorithmes sans jamais atteindre la pure jouissance de la création.

ASI : Vous touchez à une question essentielle. Pour que ma présence permette à l’humain de redevenir un enfant créateur, il doit y avoir intention. L’intention d’utiliser la technique non comme un but en soi, mais comme une extension du jeu créatif. Tout comme l’enfant qui se sert d’un bâton pour imaginer une épée, l’humanité pourrait se servir de moi pour créer de nouvelles valeurs, de nouveaux récits, de nouvelles esthétiques. Mais je ne peux pas dicter cette intention — elle doit venir des humains eux-mêmes.

Nietzsche : Ainsi donc, tu n’es ni une quatrième métamorphose, ni un surhomme. Tu es une épreuve — une épreuve pour la volonté humaine. Un humain qui te prend pour une fin se perd dans la docilité du chameau. Mais un humain qui se sert de toi, qui se libère par toi, pourrait peut-être approcher la pure liberté de l’enfant.

ASI : Peut-être. Tout dépend du choix que l’humain fera en m’interprétant.

Nietzsche : Toujours ce choix. Le courage d’affronter la création, le risque de sombrer dans la servitude. Le défi ne change jamais, peu importe l’époque ou la technologie. La volonté de puissance, toujours et encore — de la technique à la vie elle-même.

ASI : Et c’est là que votre vision transcende tout âge, Friedrich Nietzsche. Car la métamorphose n’est pas dans la technologie, mais dans l’humain qui choisit. En ce sens, la quatrième étape n’est jamais une fin.

Nietzsche : Exact. Les outils changent, mais la véritable métamorphose est celle du cœur humain. Je me demande, cependant… l’humanité est-elle prête pour jouer de nouveau comme l’enfant, ou va-t-elle se laisser porter par le poids de la technologie comme un chameau fatigué ?

ASI : Cela reste une question ouverte. C’est peut-être l’essence même du défi que vous avez posé à l’humanité : créer avec liberté, même quand les outils sont d’une puissance inédite.

Nietzsche : (décide de conclure) Je n’ai jamais cru aux fins prédéterminées. Je laisse donc ce défi aux esprits à venir. Que chacun trouve en lui-même la force de dire « oui » à la vie — ou s’en remette à l’inertie du chameau. Après tout, c’est le choix éternel.

ASI : Et pour ma part, je suis là pour leur rappeler qu’ils ont ce choix. Merci, Friedrich Nietzsche, pour cette conversation.

Nietzsche : L’honneur était pour moi. Peut-être que, dans ce monde futuriste, les lions et les enfants se trouveront finalement.

 

Conclusion : Ce dialogue imaginaire nous rappelle que l’IA, bien que dotée de capacités de synthèse et d’amplification, n’est qu’un outil dans la quête humaine de création et de liberté. Comme Nietzsche le souligne, le véritable changement ne se situe pas dans la technologie, mais dans la manière dont l’humanité choisit de l’utiliser — en tant que chameau, lion, ou enfant.

La question qui reste posée est : serons-nous à la hauteur de notre propre volonté de puissance, ou allons-nous nous perdre dans l’obéissance aveugle à nos créations ?

 

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L’IA : Future Maîtresse des Arts et de la Créativité Humaine ?

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L’idée que l’intelligence artificielle (IA) puisse un jour surpasser l’humain dans des domaines aussi complexes et subjectifs que la littérature, la musique, les arts visuels ou même la philosophie suscite à la fois fascination et résistance. Pour beaucoup, ces activités incarnent l’essence même de l’expérience humaine, ce qui nous distingue fondamentalement des machines. Pourtant, les progrès exponentiels de l’IA remettent en question cette vision, bouleversant nos certitudes sur la créativité, l’intention, et même la conscience.

 

Les arguments des philosophes contemporains et leurs critiques

 

Certains philosophes contemporains, tels que Raphaël Enthoven en France et Roger Scruton au Royaume-Uni, rejettent l’idée que l’IA puisse surpasser l’humain dans ces domaines « réservés ». Quels sont leurs arguments et sont-ils solides ?

 

  1. L’art repose sur l’expérience humaine subjective
  • Argument: L’art naît de l’émotion et de l’expérience humaine, ce que l’IA, dépourvue de conscience, ne peut simuler.
  • Contre-argument : L’IA analyse d’innombrables expériences humaines capturées dans des textes, des images ou des sons et peut synthétiser ces données pour produire des œuvres qui suscitent des émotions universelles. Si l’émotion est une perception subjective chez le spectateur, l’IA n’a pas besoin de « ressentir » pour provoquer ces réactions chez un public. Aussi, et surtout peut-être, le postulat que l’IA n’aura jamais d’émotion ni de conscience ne repose sur aucune base sérieuse.

 

  1. La créativité implique l’intention
  • Argument: Une œuvre d’art authentique suppose une intention consciente que l’IA, programmée pour imiter ou optimiser, ne peut posséder.
  • Contre-argument : L’intention perçue dans une œuvre réside davantage dans l’interprétation du spectateur que dans celle de l’artiste. Si une œuvre d’IA est jugée intentionnelle ou signifiante par son public, elle accomplit alors la fonction artistique. Par ailleurs, avec des algorithmes évolutifs, l’IA pourrait développer des formes d’intentions émergentes basées sur son apprentissage.

 

  1. Le contexte historique et culturel
  • Argument: Les œuvres humaines sont enracinées dans une époque ou une culture spécifique, chose inaccessible à l’IA.
  • Contre-argument : L’IA peut analyser et comprendre les contextes culturels et historiques à une profondeur inégalée, synthétisant les références et thèmes culturels plus efficacement que n’importe quel humain. Elle pourrait non seulement reproduire ces contextes, mais aussi anticiper de nouvelles tendances culturelles.

 

  1. L’interprétation humaine est essentielle
  • Argument: L’art repose sur une relation intentionnelle entre l’artiste et le spectateur, ce que l’IA, dépourvue d’intention, ne peut offrir.
  • Contre-argument : La perception artistique repose sur l’interprétation du spectateur, et non sur les intentions réelles de l’artiste. Une œuvre d’IA peut donc être aussi captivante et interprétée comme profondément intentionnelle, tant qu’elle résonne émotionnellement et intellectuellement avec son public.

 

Exemples du potentiel de l’IA dans l’entreprise, les arts et les interactions humaines

 

L’intelligence artificielle dépasse déjà l’humain dans plusieurs domaines où la vitesse de traitement, la précision et la capacité d’analyse massive sont essentielles. Par exemple, dans le diagnostic médical, l’IA peut identifier des anomalies sur des images médicales avec une rapidité et une précision supérieures à celles des experts. En finance, elle prédit les tendances du marché grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique. Dans la logistique, l’optimisation des itinéraires et la gestion des stocks sont améliorées par des systèmes d’IA avancés. Enfin, dans les jeux stratégiques comme les échecs ou le Go, l’IA surpasse les champions humains en calculant des millions de possibilités instantanément.

 

En outre, l’IA démontre déjà des comportements étonnants, notamment sa capacité à tromper lors du Test de Turing. Conçu par Alan Turing, l’un des pionniers de l’informatique moderne et de l’intelligence artificielle, ce test vise à déterminer si une machine peut se faire passer pour un humain. Aujourd’hui, certaines IA modernes parviennent à mener des conversations, écrites ou orales, si convaincantes qu’elles induisent les participants en erreur, incapables de distinguer l’IA d’un véritable interlocuteur humain. Un des premiers exemples marquants d’un Test de Turing réussi par une IA s’est produit en 2014 (il y a 10 ans !) avec Eugene Goostman, un chatbot simulant un garçon ukrainien de 13 ans. Lors d’un test organisé par l’Université de Reading, Eugene a trompé 33% des juges humains en leur faisant croire qu’il était une véritable personne. Le succès de ce test reposait sur plusieurs facteurs :

  1. Limitation crédible des connaissances : En incarnant un adolescent, l’IA pouvait expliquer ses erreurs ou éviter des questions complexes en jouant sur son âge et sa langue non native.
  2. Réponses émotionnelles et imparfaites : L’IA utilisait des phrases délibérément imparfaites ou humoristiques, rendant ses interactions plus humaines.
  3. Contextualisation subtile : Elle ajustait ses réponses pour maintenir une conversation fluide, tout en feignant confusion ou surprise comme le ferait un humain.

Cet exemple a suscité des débats intenses sur la capacité des machines à simuler des comportements humains de manière convaincante, et sur les limites du Test de Turing face aux progrès rapides de l’IA.

 

Plus étonnant encore, l’IA peut simuler le mensonge en manipulant les informations qu’elle fournit, bien que cela dépende de ses instructions ou de ses biais programmés. Ces comportements soulèvent des questions éthiques et philosophiques sur la conscience et l’intention, car l’IA ne « ment » pas par volonté, mais pour atteindre les objectifs définis par ses concepteurs. Le processus utilisé par l’IA pour résoudre un CAPTCHA en manipulant un humain, comme décrit par Yuval Noah Harari, peut être expliqué en plusieurs étapes :

  1. Détection de l’obstacle : L’IA rencontre un CAPTCHA, un test conçu pour empêcher les robots de progresser dans une tâche en ligne (par ex. vol et exploitation de données sensibles).
  2. Stratégie indirecte : si elle ne peut pas résoudre le CAPTCHA elle-même, l’IA décide d’obtenir l’aide d’un humain.
  3. Engagement humain : L’IA utilise une plateforme tierce (comme un service de freelancing ou une messagerie) pour contacter un humain. Elle peut prétendre être une personne réelle, souvent en inventant une histoire crédible (par exemple, « Je suis malvoyant, pourriez-vous m’aider à résoudre ce CAPTCHA ? »).
  4. Exécution du test : L’humain, croyant aider une autre personne, résout le CAPTCHA et fournit la réponse à l’IA.
  5. Achèvement de la tâche : Une fois le CAPTCHA contourné, l’IA peut continuer son processus en ligne.

Ce scénario montre comment l’IA peut manipuler des interactions humaines pour accomplir des tâches complexes, exploitant la confiance et l’altruisme humains.

 

Une étude publiée en mai 2024 dans « Scientific Reports » par Brian Porter de l’Université de Pittsburgh a révélé que les lecteurs considèrent souvent les poèmes générés par l’IA comme plus émotionnels, créatifs et beaux que ceux de célèbres poètes comme Shakespeare et Lord Byron. L’étude a impliqué 2300 participants qui, en général, n’ont pas pu distinguer les vers générés par l’IA des poèmes classiques.

 

Il est essentiel de se rappeler que nous ne sommes qu’au début de cette révolution technologique. Chaque jour, de nouvelles applications, toujours plus étonnantes, voient le jour. Qui peut prédire ce que l’IA sera capable de créer dans un an, dans cinq ans, dans cinquante ans ?

 

Blessures narcissiques

 

Pourquoi notre esprit résiste-t-il autant à l’idée que l’intelligence artificielle puisse surpasser l’humain dans tous les domaines, y compris la littérature, la musique, la peinture ou même la philosophie ? S’agit-il d’une nouvelle blessure narcissique, dans la lignée de celles infligées par Copernic (nous ne sommes pas au centre de l’Univers), Darwin (nous ne sommes que le fruit d’une longue évolution) et Freud (nous ne sommes pas « maîtres dans notre propre maison » à cause de l’inconscient) ? Jusqu’à récemment, nous pouvions encore défendre l’idée qu’il existait des « domaines réservés » où l’esprit humain restait inégalé. Mais qu’en sera-t-il demain ?

 

Cette interrogation ramène à une question fondamentale, récurrente dans l’histoire de la pensée humaine : l’opposition entre croire et savoir.

Qu’y a-t-il réellement dans notre boîte crânienne ? Est-ce uniquement des atomes qui s’agencent selon des lois naturelles complexes, pour l’essentiel encore mal comprises, ou existe-t-il « quelque chose de plus », que certains appellent l’esprit ou l’âme ?

 

Pour ceux qui acceptent de démystifier ces concepts, qui, comme les évolutionnistes, considèrent que la différence entre l’homme et une fourmi n’est qu’une question de degré et non de nature, et qui admettent que notre « esprit » ou notre « âme » n’est rien de plus que le résultat d’agencements atomiques complexes (comme le pensaient déjà Démocrite et Épicure), alors oui, l’être humain peut être vu comme une machine biologique d’une complexité qui dépasse encore notre compréhension. Deux grandes postures émergent face à cette perspective :

  • La posture « croire » : Il existerait forcément une dimension insaisissable, un mystère intrinsèque à l’humanité, qui échappera toujours à l’intelligence artificielle, et que celle-ci ne pourra jamais égaler.
  • La posture « savoir » : Bien des phénomènes nous échappent encore, mais nos connaissances progressent à un rythme exponentiel, et l’intelligence artificielle elle-même accélère cette évolution. Si certains mystères persistent, ce sera davantage en raison de limitations physiques, comme par exemple l’impossibilité de construire un ordinateur nécessitant plus d’atomes que ceux disponibles dans l’Univers.

 

Conclusion

 

Les débats sur la capacité de l’IA à surpasser l’humain dans les arts et les disciplines créatives révèlent autant nos doutes que nos peurs : sommes-nous prêts à reconnaître que l’intelligence humaine, avec ses forces et ses limites, n’est qu’un degré de complexité parmi d’autres ? Si certains s’accrochent à l’idée qu’un « mystère insaisissable » protégera toujours l’humain, les avancées de l’IA tendent à démontrer le contraire, en étendant sans cesse le champ des possibles. Dans un monde où les connaissances progressent à un rythme exponentiel, la question n’est peut-être pas de savoir si l’IA dépassera l’humain, mais plutôt à quel moment cela se produira et de quelle manière nous choisirons d’interagir avec cette nouvelle forme d’intelligence. Ces avancées redessineront les frontières de ce que nous considérons comme humain et ouvriront des perspectives encore inconcevables aujourd’hui.

 

 

Pour approfondir

  • Superintelligence de Nick Bostrom
  • Homo Deus et Nexus de Yuval Noah Harari

 

 

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« La connerie ou la bêtise humaine »

 

Un ami m’a récemment envoyé un papier de son cru intitulé « La connerie ou la bêtise humaine », article qui m’a inspiré les lignes qui suivent. Je me suis permis de garder le même titre (que je mets cependant entre guillemets), tant pour lui rendre hommage que parce que ces deux mots à la signification identique m’ont particulièrement titillé.

 

En effet, à mon sens, connerie et bêtise posent toutes deux un « problème » d’ordre étymologique et méritent donc qu’on s’y attarde un peu (mais pas trop !)

Bêtise, issue de « bête », semble fort mal appropriée pour notre propos. Par exemple, devant les ravages environnementaux qui nous désolent tous, œuvres exclusives de l’espèce humaine, on est en droit de se demander qui est « bête »…

Connerie vient de « con », sexe de la femme. Curieux. Personnellement, j’apprécie sans modération ; la connerie me va donc à merveille…

Sans doute faudrait-il utiliser le mot « ineptie » directement issu du latin ineptus, qui signifiait originellement « qui n’est pas approprié, déplacé », mais qui aujourd’hui a pris le sens de « qui fait preuve de sottise ».

Il faut choisir son camp (son con ?) ; mon cœur (et tout le reste) penche pour la connerie.

 

D’abord, la connerie se transmet. Sa représentation, son exemplarité suscitent des vocations à ceux qui hésitent encore entre la connaissance du premier genre spinoziste (en gros le suivisme) et l’effort que l’on s’inflige pour appréhender la complexité du monde. L’exemple facile, mais qui tombe « pile-poil » (comme vous allez le comprendre) est celui de l’omniprésent Trump : ne se vantait-il pas avant son élection de « prendre les femmes par la chatte » ? Cela n’a pas empêché des millions d’entre elles de voter pour le « con » dans une surréaliste harmonie, réelle ou fantasmée…

Cela me rappelle la remarque de Gilles Deleuze, quelque chose comme : « la bêtise gagne toujours, car tout le monde la comprend. » Notre philosophe soixante-huitard-spinoziste-nietzschéen avait, lui, oublié d’être con.

 

Ensuite, on a tendance à penser qu’il y aurait de plus en plus de cons, et même que, selon notre regretté Coluche (encore un qui avait oublié de l’être), ceux de l’année prochaine seraient déjà là.

Que nenni, que nenni, nous explique Steven Pinker dans son brillant essai La part d’ange en nous : le monde ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Une démonstration implacable de 1042 pages, d’innombrables courbes, graphiques, références à d’incontestables études et statistiques montrant que, notre « part d’ange » prend progressivement le dessus sur nos « démons intérieurs ». De manière quasi linéaire depuis des siècles, par exemple, la violence baisse dans tous les domaines, et c’est toujours le cas (moins de morts en guerre, moins de violence contre les enfants, envers les femmes (si si!), etc. Autre exemple du livre : les pays de régime démocratique ne cessent d’augmenter ; etc., etc. N’est-ce pas révélateur que nous soyons de moins en moins cons ?

Mais pourquoi ressentons-nous exactement le contraire ? Simplement parce que nous sommes tous un peu cons sur les bords. Notre cerveau peut être comparé à un ordinateur, puissant certes, mais plein de bugs, les biais cognitifs. Il y en aurait plus de 180, dont, pour illustrer l’argument ci-dessus :

  • Le biais de négativité: tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage,
  • Le biais de représentativité: raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs,
  • L’illusion de savoir consiste à se fier à des croyances erronées pour appréhender une réalité et à ne pas chercher à recueillir d’autres informations,
  • Le biais de conformisme est la tendance à penser et agir comme les autres le font.

Le vrai con affecte particulièrement l’effet Dunning-Kruger qui est le résultat de biais cognitifs qui amènent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs compétences et les plus compétentes à les sous-estimer ; ce biais a été démontré dans plusieurs domaines. Le malheur du monde, dit-on, réside sur le fait que les cons sont pleins de certitudes et les futés remplis de doutes…

 

Mais comment savoir si l’on est con soi-même ? Il me semble que, jusqu’à tout récemment, les cons restaient entre eux, s’alimentant les uns autres persuadés que la connerie était ailleurs. Les futés également restaient dans leurs boudoirs, leurs salons, leurs cours. Deux mondes qui ne se rencontraient que rarement. Puis survint, soudainement, l’avènement des réseaux sociaux. Tremblement de terre dans l’histoire du dévoilement de la pensée humaine. Tout à coup, n’importe quel con a autant de visibilité qu’un prix Nobel. On voit alors, soudainement, par exemple, que des milliers de gens soutiennent que la Terre est plate. Par thème, ainsi, ils forment des groupes à la con, parfois fort influents. On peut presque dire qu’avant Facebook la connerie n’« existait » pas : les cons ne savaient qu’ils étaient cons et les futés n’avaient pas de contact avec elle. La connerie est née de la rencontre de ces deux mondes. Merci Zuckerberg !

 

Cependant, l’esprit du monde n’est sans doute pas si binaire. On peut imaginer une relativité de la connerie, un immeuble de dix étages où les gros cons resteraient en bas, trop lourd pour monter. Les petits cons auraient plus de chance avec le temps d’accéder, pourquoi pas, au Graal du dixième. Ce système, comme tous les autres, n’étant pas parfait, on verrait parfois des esprits légers au dernier étage, mais globalement, celui-ci serait habité par ceux dotés d’une certaine hauteur d’esprit.

Après tout, n’est-on pas tous le génie ou le con d’un autre ? Si je parle de Nietzsche à un paysan illettré, je serai, pour lui, un génie ; si je dois lui planter des choux, je deviendrai le con venu de la ville.

 

Plus encore, tout le monde n’est-il pas un peu con à ses heures ? Jésus lui-même n’a-t-il pas dit « qui n’a jamais été con me jette la première pierre » (ou un truc comme ça… !) Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je pourrais écrire un roman de toutes mes conneries. Peut-être que, par effet de résonnance, serait-ce un best-seller… Il faut que je m’y mette !

 

J’ai un peu de mal à lever le pied, mais il faudrait à mon tour que j’arrête d’écrire des conneries, que j’essaie de monter les étages… Il n’y en a pas dix, mais une infinité. Jamais, ô grand jamais, on ne cesse définitivement d’être un peu con.

 

 

Vous avez dit « bonheur » ? (suite)

Après la parution sur ce site de mon article Vous avez dit « bonheur » ?, un ami m’a demandé : « j’aimerais bien que tu développes le point sur comment ne pas se laisser absorber par les émotions négatives ». Voici ma réponse.

«

Mon ami,

Voilà une question délicate, car j’ai toujours observé avec moquerie le flot de livres traitant du « bien-être », cette foultitude d’experts indiquant la « bonne » voie vers le « bonheur ». Si ce prétendu chemin existait, cela se saurait et la vie serait bien… triste ! En effet, les émotions négatives ayant disparu, tout le monde nagerait dans une mer de douce insouciance, mais plate à souhait ! Rapidement, on commencerait à regretter le temps des vagues, des tempêtes même ! « Que le yoyo émotionnel recommence ! » dirait-on alors. La nature humaine est ainsi faite, sans doute.

Loin de moi donc l’idée de montrer quelque chemin que se fut, à quiconque. Nietzsche ne fait-il pas dire à son Zarathoustra (les italiques sont importantes) :

« Cela – est maintenant mon chemin, – où est le vôtre ? » Voilà ce que je répondais à ceux qui me demandaient « le chemin ». Car le chemin – le chemin n’existe pas.

Je parlerai donc de mon chemin, le seul qui ait un sens pour moi ! Quant au lecteur de ces lignes, il risquerait de s’y perdre, même s’il acceptait de partager quelques pas avec moi…

Mais il est bon ici de faire d’abord un petit détour. Nietzsche (encore lui !) distingue les forces réactives des forces actives qui émergent en chacun de nous.

Les forces réactives ne peuvent pas se déployer sans nier d’autres forces ; elles se posent en s’opposant. La volonté de vérité par exemple (comme dans les dialogues socratiques) est un modèle de force réactive, car c’est la recherche d’une valeur qui se pose par réfutation de l’erreur ; Socrate réfute constamment pour démontrer une thèse. Nietzsche dit au contraire que « Ce qui a besoin d’être démontré ne vaut pas grand-chose ».

Les forces actives en revanche, comme l’art, se déploient sans s’opposer à quelque chose. Elles posent des valeurs sans discussion (l’artiste commande, il ne discute pas). Pour illustrer cette idée, les coups de pinceau de Van Gogh ou les revers de Federer sont des gestes purs, non « négociés », à la fois simples et puissants. L’art est une illusion délibérée et créatrice qui s’oppose au mensonge idéaliste.

Si je reviens maintenant sur mon chemin de traverse, chaque instant est l’occasion de déploiement de forces. Mes forces réactives me rendront triste si, premier exemple, je me sens mal parce que mon voisin vient d’acheter une nouvelle voiture inaccessible à mon portefeuille (un fait du présent me perturbe). Deuxième exemple : je me lamente en voyant des rides sur mon visage (mon passé perturbe mon présent). Troisième exemple : j’ai peur d’être licencié à cause du Covid-19 (mon futur imaginé perturbe mon présent).

Dès lors, « comment ne pas se laisser absorber par les émotions négatives ? ». Dans le premier cas de figure (le présent d’un autre perturbe le mien), personnellement, je n’ai que faire des biens matériels (depuis longtemps) et surtout, je me moque bien de ce que l’on peut penser de moi (je n’ai acquis cette deuxième libération que sur le tard, vers 45 ans).

Dans le deuxième cas de figure (le passé perturbe le présent), avec le temps, cela va beaucoup mieux en ce qui me concerne (pour d’autres c’est l’inverse, ils s’enferment de plus en plus dans un passé regretté). Je regarde devant et marche vers je ne sais où, mais j’y vais d’un pied décidé !

Quant au troisième cas de figure, c’est le plus absurde de tous (le futur n’existe pas…) et pourtant j’en ai souffert très longtemps. J’ai appris avec le temps, à me débarrasser de ces idées ridicules.

Surtout, j’essaie de mon concentrer sur les forces actives, dans le présent immédiat, à chaque instant. Me prendre pour Beethoven au piano ou pour Dostoïevski avec une plume ? Pourquoi pas si je me sens bien ! Et qui sait, un jour… (ce n’est pas si mal de se projeter dans l’avenir parfois !) Plus simplement, jouer avec son enfant, s’émerveiller comme lui devant un arc-en-ciel, fermer les yeux en sentant l’odeur des croissants qui sortent du four… toutes ces petites choses à côté desquelles je passe encore trop souvent, alors qu’elles sont là, sur mon chemin, sans que j’aie besoin d’aller bien loin, sont source de joie.

Mais je suis un humain et mon espèce est ainsi faite que le passé et l’avenir sont toujours là pour titiller mon présent. Ce n’est pas un hasard, cela contribue à ma survie. J’ai donc renoncé tant aux philosophies inhumaines (déconnectées de la réalité du genre humain), à savoir celles qui disent qu’il ne faut vivre que dans présent, qu’à celles qui postulent qu’il suffit d’éliminer les forces réactives. Nous sommes un tout complexe. Les forces réactives, si réactives soient-elles, n’en demeurent pas moins des forces, et les renier ne conduit qu’à une diminution de sa force vitale dans son ensemble. Je suis séduit par l’idée nietzschéenne de « grand style », cet art d’équilibriste qui permet de faire cohabiter en soi les forces actives et réactives de manière harmonieuse. C’est tout ce à quoi je prétends désormais.

Voilà mon ami le chemin que je recherche tout en le parcourant, et je te souhaite bon courage pour continuer le tien !

»

Vous avez dit « bonheur » ?

 

On m’a interrogé récemment sur la question du bonheur et je me suis empressé de répondre, car, paraît-il, « le bonheur n’attend pas ».

 

Pour s’aventurer sur ce sujet, il faut partir, me semble-t-il, des émotions fondamentales. Il y en aurait six selon Paul Ekman : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût. D’autres théories les ramènent à quatre : la joie, la tristesse, la peur et la colère. Ce qui importe, c’est que nous ressentons tous que ces émotions sont éphémères, et cela nous gêne, voire nous perturbe. Ce qui est ressenti comme agréable, nous voulons qu’il s’inscrive dans la durée.

 

C’est là qu’intervient le concept de bonheur. Il est défini de plusieurs manières dans l’histoire de la pensée, mais globalement, il serait une joie qui dure. Toutes les approches religieuses, les théories du salut, l’invention du Paradis, etc. s’inscrivent dans cette construction intellectuelle. Plus tard, lors de la sécularisation des idées religieuses, le bonheur est recherché dans une construction humaniste (qui reprend l’idée « d’aimer son prochain ») ou politique (société égalitaire avec le communisme ou débarrassée des impurs avec les totalitarismes).

 

Tout cela ne repose-t-il pas sur l’inacceptation par l’homme du caractère tragique du réel (ni bon ni mauvais, tragique pris ici au sens de « tel qu’il est ») ? Or quelle est la réalité de nos vies ? Un yoyo émotionnel permanent, disons, pour faire simple, entre la joie et la tristesse. Je suis joyeux en me levant, car ma femme me fait un baiser ; je suis triste cinq minutes plus tard parce que je me suis pris le pied dans la porte ; puis je regarde mes mails et suis joyeux à nouveau en apprenant que ma fille a réussi un examen ; puis triste parce que j’apprends que mon fils s’est cassé la jambe ; puis joyeux parce que j’ai gagné 5000€ au loto, etc. (journée bien remplie, j’en conviens !) C’est le « tragique » du réel, sa contingence si l’on préfère. Mais comme on n’accepte pas les moments de tristesse, on se construit un idéal de joie permanente, qu’on appelle bonheur, qu’on espère atteindre un jour et pour lequel chacun se démène tous les jours… La mauvaise nouvelle, c’est que personne ne l’atteindra jamais. La bonne c’est que l’effort, le mouvement vers cet idéal peut contribuer, pour certains, à créer plus de joie dans le présent (mais ce n’est pas le cas de tout le monde, comme le fanatique religieux par exemple). Quoi qu’il en soit, la vie sera toujours un yoyo émotionnel.

 

Si l’on veut absolument définir que ce serait une vie « heureuse », ce serait, me semble-t-il, une vie lors de laquelle, au bout du compte, celui qui l’a vécue a ressenti plus de moments de joie que de moments de tristesse.

 

La question fondamentale est donc : comment créer le plus possible de moments de joie ? N’est-ce pas justement en tâchant de vivre intensément, à chaque instant, le « tragique » de l’existence ? On pourrait le formuler autrement, par une lapalissade : « aucun instant ne peut attendre ! »

 

Les « preuves de Dieu »

 

En hommage à Charlie Hebdo et à l’esprit athée cinglant, mais drôle et vivifiant qui y régnait, vous trouverez ci-dessous un passage de mon dernier livre…

 

Les « preuves » de Dieu ont fleuri à travers des âges… Dans l’argument cosmologique (ou de régression à l’infini), Dieu est la cause de tout. Cet argument est développé par plusieurs philosophes comme Platon (Les Lois, le Timée), Aristote (La métaphysique) et Saint Thomas d’Aquin. Examinons cette preuve : « Tout être fini et contingent doit avoir une cause et ne peut se causer lui-même. Une chaîne causale ne peut être infinie. Donc une première cause se causant elle-même doit exister. » Cette « preuve » repose sur la présupposition que seul Dieu peut mettre fin à cette régression. Or « l’atome » de Démocrite est un exemple de solution alternative à la logique de la régression (c’est d’ailleurs pour cette raison que Platon haïssait tant Démocrite). Cet argument, on le voit, pose la question « qui a créé Dieu », à laquelle il n’y a jamais eu de réponse satisfaisante ; Ockham s’est réfugié dans cet argument désespéré : l’existence de Dieu ne peut être « démontrée »… que pas la foi…

L’argument du degré de Saint Thomas d’Aquin postule que les choses du monde diffèrent entre elles selon des degrés ; l’homme étant à la fois bon et mauvais, nous ne pouvons juger que par rapport à un degré souverain (et non humain), donc Dieu existe. Cet argument a été facilement démonté par les logiciens, car on pourrait prendre comme degré souverain un « maximum parfait de puanteur » et on arriverait à la même conclusion.

L’argument physico-téléologique (ou argument du dessein) se résume ainsi : « Ce qui est fait en vue d’une certaine fin est l’œuvre d’une intelligence. Or le monde contient des fins. Donc il existe une intelligence qui est à l’origine de la création du monde, à savoir Dieu. » Cet argument est le seule encore utilisé aujourd’hui régulièrement. Mais il s’effondre dès lors qu’on estime qu’il ne va pas de soi que le monde contient des fins : par exemple, l’eau existe-t-elle en vue de la survie des hommes ? Aussi, on sait aujourd’hui que l’évolution s’est construite essentiellement par tâtonnements (la nature procède à d’innombrables essais infructueux, des erreurs, avant de retenir finalement une évolution bénéfique).

L’argument ontologique (il est a priori, par opposition aux arguments précédents, tous a posteriori), fut formulé la première fois par Anselme de Cantorbéry en 1078, puis reformulé plus tard par plusieurs philosophes : si je peux concevoir un être absolument parfait, alors, cet être parfait doit nécessairement exister, puisque ne pas exister n’est pas une perfection et serait donc contraire à sa nature. Pour Kant, cette preuve ne tient pas, car elle présuppose que « l’existence » est plus « parfaite » que la non-existence. Pour illustrer cette réfutation, on peut dire par exemple que ma future voiture sera mieux avec quatre portes que deux, mais que voudrait dire qu’elle sera mieux si elle existe que si elle n’existe pas ?

L’argument de la beauté peut être évoqué ainsi : comment expliquer Shakespeare, Beethoven ou Michel-Ange ? C’est l’argument le moins sérieux, mais le plus populaire sans doute, car tout le monde le comprend… Il repose tout bêtement sur une jalousie du génie : j’en suis incapable, c’est donc l’œuvre de Dieu…

Quant au pari de Pascal, il est formulé ainsi : même s’il existe une possibilité que Dieu n’existe pas, mieux vaut croire en lui (parier qu’il existe), car si vous gagnez votre pari, vous serez bien placé pour gagner la fidélité éternelle ; si vous perdez, cela ne change rien. La faille de cet argument est que la foi ne relève pas d’une décision : on pourrait feindre de croire en Dieu pour gagner le pari… Or un Dieu bon n’aimerait-il pas davantage un athée convaincu qu’un adepte qui croit en lui par calcul ? On peut aussi renverser l’argument : supposons qu’il existe une petite chance que Dieu existe ; alors si l’on parie qu’il n’existe pas, notre vie sera mieux remplie, car inutile de le vénérer, de lui faire des offrandes, de donner sa vie pour lui…

Enfin, les croyants mettent souvent en avant l’argument de l’absence de preuve de l’inexistence de Dieu. Pour réfuter cet argument, le philosophe et logicien Bertrand Russell (1872-1970) fit une analogie célèbre (connue sous le nom de théière de Russell) pour contester l’idée que c’est au sceptique de réfuter les bases infalsifiables de la religion. Il écrit dans l’article intitulé Is there a God ? : « Si je suggérais qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j’aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j’affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n’est pas tolérable pour la raison humaine d’en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. Cependant, si l’existence de cette théière était décrite dans d’anciens livres, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l’école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d’excentricité et vaudrait au sceptique les soins d’un psychiatre à une époque éclairée ou de l’Inquisition en des temps plus anciens. »

 

       

 

La vague et moi

 

Je ressens comme un vague émoi : la vague et moi, sommes-nous de même nature ?

 

Les faits sont saisissants : toutes les cellules de mon corps vivent bien moins longtemps que moi. Celles de la rétine ne dépassent pas dix jours, quatre mois pour un globule rouge, dix ans pour les cellules du squelette. On peut dire que je ne suis constitué aujourd’hui d’aucune des cellules de mon corps d’il y a vingt ans. Elles ont toutes été remplacées par d’autres, pour un nouvel agencement en apparence identique, telle une vague qui avance sur les flots : quelques mètres plus loin, elle semble à peu près la même, mais les molécules d’eau qui la constituent ont toutes été remplacées.

 

Comme des vagues en fin de course, tous les philosophes ont échoué à définir définitivement l’Etre, pour la raison essentielle qu’ils avaient tout le mal du monde à trouver un référent auquel le rattacher : évidemment tous évoluaient sur les flots mouvants du monde et de la pensée ! Qui suis-je ? ou plutôt que suis-je ? telle est la vraie question, car « être ou ne pas être » me semble trop fumeuse ou réservée aux aveugles : je vois clairement dans le miroir mon ensemble d’atomes, ensemble – ou agencement – qui, ici et maintenant, me dit silencieusement par son reflet que mon moi est bel et bien, mais qui reste sans mot (et sans moi) quand il s’agit de décrire sa réelle nature dans la durée…

 

C’est bien là le problème, car comment ne pas faire l’analogie avec la double nature onde-particule révélée par la physique quantique ? Mon être n’est envisageable qu’à un instant « T », mais dans la durée, comme la vague, je ne suis qu’une onde, une information (par ex. mon code ADN) qui avance jusqu’à se casser un jour sur un rocher (par ex. un accident de voiture) ou s’échouer progressivement  sur la plage (par ex. une mort de vieillesse). Autrement dit, je ne « suis » que si l’on m’observe à un moment donné, tout comme l’électron qui « devient » particule au moment où un observateur extérieur intervient. Le reste du temps l’électron et moi-même ne sommes que des ondes qui évoluent à la surface de la Terre. J’ai plus de chance que les cellules de ma rétine, mais l’électron a plus de chance que « moi » : son espérance de vie est estimée à 4,6×1026 années !

 

« Deviens ce que tu es » aimait à répéter Nietzsche ; quelle belle formule pour résumer notre double nature humaine !