« La connerie ou la bêtise humaine »

 

Un ami m’a récemment envoyé un papier de son cru intitulé « La connerie ou la bêtise humaine », article qui m’a inspiré les lignes qui suivent. Je me suis permis de garder le même titre (que je mets cependant entre guillemets), tant pour lui rendre hommage que parce que ces deux mots à la signification identique m’ont particulièrement titillé.

 

En effet, à mon sens, connerie et bêtise posent toutes deux un « problème » d’ordre étymologique et méritent donc qu’on s’y attarde un peu (mais pas trop !)

Bêtise, issue de « bête », semble fort mal appropriée pour notre propos. Par exemple, devant les ravages environnementaux qui nous désolent tous, œuvres exclusives de l’espèce humaine, on est en droit de se demander qui est « bête »…

Connerie vient de « con », sexe de la femme. Curieux. Personnellement, j’apprécie sans modération ; la connerie me va donc à merveille…

Sans doute faudrait-il utiliser le mot « ineptie » directement issu du latin ineptus, qui signifiait originellement « qui n’est pas approprié, déplacé », mais qui aujourd’hui a pris le sens de « qui fait preuve de sottise ».

Il faut choisir son camp (son con ?) ; mon cœur (et tout le reste) penche pour la connerie.

 

D’abord, la connerie se transmet. Sa représentation, son exemplarité suscitent des vocations à ceux qui hésitent encore entre la connaissance du premier genre spinoziste (en gros le suivisme) et l’effort que l’on s’inflige pour appréhender la complexité du monde. L’exemple facile, mais qui tombe « pile-poil » (comme vous allez le comprendre) est celui de l’omniprésent Trump : ne se vantait-il pas avant son élection de « prendre les femmes par la chatte » ? Cela n’a pas empêché des millions d’entre elles de voter pour le « con » dans une surréaliste harmonie, réelle ou fantasmée…

Cela me rappelle la remarque de Gilles Deleuze, quelque chose comme : « la bêtise gagne toujours, car tout le monde la comprend. » Notre philosophe soixante-huitard-spinoziste-nietzschéen avait, lui, oublié d’être con.

 

Ensuite, on a tendance à penser qu’il y aurait de plus en plus de cons, et même que, selon notre regretté Coluche (encore un qui avait oublié de l’être), ceux de l’année prochaine seraient déjà là.

Que nenni, que nenni, nous explique Steven Pinker dans son brillant essai La part d’ange en nous : le monde ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui. Une démonstration implacable de 1042 pages, d’innombrables courbes, graphiques, références à d’incontestables études et statistiques montrant que, notre « part d’ange » prend progressivement le dessus sur nos « démons intérieurs ». De manière quasi linéaire depuis des siècles, par exemple, la violence baisse dans tous les domaines, et c’est toujours le cas (moins de morts en guerre, moins de violence contre les enfants, envers les femmes (si si!), etc. Autre exemple du livre : les pays de régime démocratique ne cessent d’augmenter ; etc., etc. N’est-ce pas révélateur que nous soyons de moins en moins cons ?

Mais pourquoi ressentons-nous exactement le contraire ? Simplement parce que nous sommes tous un peu cons sur les bords. Notre cerveau peut être comparé à un ordinateur, puissant certes, mais plein de bugs, les biais cognitifs. Il y en aurait plus de 180, dont, pour illustrer l’argument ci-dessus :

  • Le biais de négativité: tendance à donner plus de poids aux expériences négatives qu’aux expériences positives et à s’en souvenir davantage,
  • Le biais de représentativité: raccourci mental qui consiste à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas nécessairement représentatifs,
  • L’illusion de savoir consiste à se fier à des croyances erronées pour appréhender une réalité et à ne pas chercher à recueillir d’autres informations,
  • Le biais de conformisme est la tendance à penser et agir comme les autres le font.

Le vrai con affecte particulièrement l’effet Dunning-Kruger qui est le résultat de biais cognitifs qui amènent les personnes les moins compétentes à surestimer leurs compétences et les plus compétentes à les sous-estimer ; ce biais a été démontré dans plusieurs domaines. Le malheur du monde, dit-on, réside sur le fait que les cons sont pleins de certitudes et les futés remplis de doutes…

 

Mais comment savoir si l’on est con soi-même ? Il me semble que, jusqu’à tout récemment, les cons restaient entre eux, s’alimentant les uns autres persuadés que la connerie était ailleurs. Les futés également restaient dans leurs boudoirs, leurs salons, leurs cours. Deux mondes qui ne se rencontraient que rarement. Puis survint, soudainement, l’avènement des réseaux sociaux. Tremblement de terre dans l’histoire du dévoilement de la pensée humaine. Tout à coup, n’importe quel con a autant de visibilité qu’un prix Nobel. On voit alors, soudainement, par exemple, que des milliers de gens soutiennent que la Terre est plate. Par thème, ainsi, ils forment des groupes à la con, parfois fort influents. On peut presque dire qu’avant Facebook la connerie n’« existait » pas : les cons ne savaient qu’ils étaient cons et les futés n’avaient pas de contact avec elle. La connerie est née de la rencontre de ces deux mondes. Merci Zuckerberg !

 

Cependant, l’esprit du monde n’est sans doute pas si binaire. On peut imaginer une relativité de la connerie, un immeuble de dix étages où les gros cons resteraient en bas, trop lourd pour monter. Les petits cons auraient plus de chance avec le temps d’accéder, pourquoi pas, au Graal du dixième. Ce système, comme tous les autres, n’étant pas parfait, on verrait parfois des esprits légers au dernier étage, mais globalement, celui-ci serait habité par ceux dotés d’une certaine hauteur d’esprit.

Après tout, n’est-on pas tous le génie ou le con d’un autre ? Si je parle de Nietzsche à un paysan illettré, je serai, pour lui, un génie ; si je dois lui planter des choux, je deviendrai le con venu de la ville.

 

Plus encore, tout le monde n’est-il pas un peu con à ses heures ? Jésus lui-même n’a-t-il pas dit « qui n’a jamais été con me jette la première pierre » (ou un truc comme ça… !) Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, je pourrais écrire un roman de toutes mes conneries. Peut-être que, par effet de résonnance, serait-ce un best-seller… Il faut que je m’y mette !

 

J’ai un peu de mal à lever le pied, mais il faudrait à mon tour que j’arrête d’écrire des conneries, que j’essaie de monter les étages… Il n’y en a pas dix, mais une infinité. Jamais, ô grand jamais, on ne cesse définitivement d’être un peu con.